Une gouvernance particulière
L’usine marémotrice a bouleversé le site, mais crée aussi une situation inédite du point de vue gouvernance.
La construction du barrage a fait l’objet d’une Convention de concession.
Par cette convention, l’ETAT propriétaire du Domaine Public maritime (DPM) de l’estuaire, en concède l’exploitation à EDF pour une durée de 75 ans.
Les dégradations liées au barrage mettent l’estuaire en danger.
Bien que minimisés par une communication d’EDF volontairement réductrice, les impacts environnementaux de l’usine marémotrice ne sont plus contestables.
Les dégradations liées à la modification du régime des marées que ce soit sur l’envasement, l’écosystème, les habitats estuariens, les usages côtiers, la navigation, … mettent en danger l’estuaire et menacent son avenir de zone côtière.
30 000 à 50 000 m3 de sédiments se déposent chaque année dans l’estuaire selon un rapport de l’Inspection Générale de l’Environnement sur le barrage de la Rance de février 2003.
Les études techniques actualisées en 2019, par comparaison des données bathymétriques relevées selon le même protocole et sur les mêmes surfaces de l’estuaire, montrent un envasement de 300 000 à 500 000 m3 par an entre 2011 et 2018 (source : “rapport de la mission d’accompagnement à la définition du plan de gestion expérimental quinquennal” 16 octobre 2019-EPTB rance Frémur Baie de Beaussais). Cette fourchette doit être affinée (encore des études…). Quel que soit le résultat, on est loin des 50 000 m3/an retenus par les rapporteurs de l’Etat en 2017 et qui, depuis, servent de base à toutes les réflexions engagées. On peut légitimement s’interroger sur la crédibilité des engagements pris par l’Etat, notamment au niveau du plan de financement.
Quelques millions de m3 de vase sont donc accumulés aujourd’hui dans l’estuaire, depuis la mise en service de l’usine marémotrice. L’envasement de la zone 2 (du Lyvet au Pont St-Hubert) sera bientôt irréversible, et la remontée jusqu’au port de Dinan, réservée aux kayaks.
Deux rapports gouvernementaux* sur les énergies marines renouvelables publiés en 2012 et 2013, entérinent l’abandon des projets de barrage marémoteur sur un estuaire, pour cause de problèmes environnementaux majeurs.
* rapports émis par le Ministère de l’écologie du développement durable et de l’énergie,
et par le Ministère de l’économie et des finances et le Ministère du redressement productif
(attention, ces documents sont assez “lourds” et longs à ouvrir)
Rapport de la mission d’étude sur les énergies marines renouvelables / mars 2013
En juin 2013, après avoir constaté « les effets dévastateurs de l’expérience du barrage de la Rance » et « la différence entre la position d’EDF et la réalité de l’impact environnemental sur le terrain », les parlementaires britanniques demandent l’abandon d’un important projet marémoteur sur l’estuaire de la Severn.
Si rien n’est entrepris pour maitriser les dégradations liées au barrage , une catastrophe environnementale est inéluctable.
Qu’a-t-on fait depuis la construction du barrage pour maitriser ces dégradations?
Aucune contrainte à caractère environnemental dans la convention de concession
Lors de la promulgation en 1956 du décret autorisant la construction de l’usine marémotrice, la réglementation environnementale était inexistante et on ne parlait pas encore de développement durable. Il n’y a donc aucune contrainte à caractère environnemental imposée à EDF dans la convention de concession, hormis l’obligation de maintenir la navigation.
Le contrat de baie
Lancé en 1995, face à un premier constat alarmant, le Contrat de baie se promettait d’être exemplaire et d’extraire 1 million de m3 de vase dans l’estuaire.
Malgré de nombreuses études, les actions engagées au Lyvet et à Mordreuc par COEUR, stucture porteuse créée expressément pour cette mission, sont restées ponctuelles et n’ont extrait que 193 000 m3 de sédiments.
Le plan de curage du piège du Lyvet proposé par COEUR Emeraude n’est pas adapté à la situation
COEUR est devenue « COEUR émeraude », association de préfiguration du PNR Rance Côte d’Emeraude, a annoncé une opération de vidage du piège du Lyvet pour l’hiver 2014/2015 (opération Lyvet 2), et propose pour la suite de répéter l’opération tous les 3 ans.
Cette opération devrait extraire environ 60 000m3 de sédiments tous les 3 ans, soit en moyenne 20 000m3 par an.
Ce plan n’est pas suffisant pour compenser les 50 000 m3 d’apport sédimentaire nouveau par an…
Il ne permettra ni une stabilisation ni une amélioration progressive de la situation actuelle.
La situation est paradoxale
Il y a contradiction entre :
– l’évolution générale de la réglementation
– la reconnaissance des impacts environnementaux du barrage par les services de l’ETAT (voir ci-dessus)
– les certifications environnementales ISO mises en avant par EDF
et la situation constatée localement :
– gestion de l’usine marémotrice sur la base d’une convention ancienne ne prenant pas en compte les impacts environnementaux
– minimisation des impacts environnementaux par une communication réductrice d’EDF et des faux raisonnements
– refus de recherche d’un compromis et d’une approche globale
– non soumission du barrage aux exigences Natura 2000
Que peut-on faire ?
L’enjeu
D’un coté, les dégradations liées à l’usine marémotrice entraineront « inéluctablement » la disparition des usages côtiers.
De l’autre, celle-ci produit une énergie marine renouvelable et il est primordial d’en poursuivre l’exploitation.
Mais, si la dégradation de l’environnement perdure, il deviendra difficile à l’échéance de la convention de concession dans les années 2040/2043 de la renouveler du fait du coût environnemental qui lui sera alors associé.
L’enjeu est donc double :
-Sauver les usages côtiers de l’estuaire
-Sauver la production d’une énergie renouvelable et permettre le renouvellement de la convention de concession en ayant préparé et réalisé les conditions favorables à ce renouvellement
La solution : un plan durable de gestion des sédiments et de réhabilitation de l’estuaire
La période de 25 ans environ nous séparant de l’échéance de la convention de concession permet de mettre en œuvre un plan de gestion durable des impacts environnementaux du barrage, préparant le renouvellement de la convention sur la base d’un compromis entre production d’énergie et respect de l’environnement.
La Commission estuaire Rance a fait des propositions pour la mise en œuvre d’un tel plan.
Pour éviter la disparition des usages côtiers, ce sont aujourd’hui 100 000m3 de sédiments qu’il faut enlever par an pendant 25 ans, et par rapport à l’opération Lyvet 2, des solutions techniques nouvelles doivent être envisagées.
Le financement nécessaire serait de l’ordre de 2,5 millions € par an, soit environ 4 € du MWh.
Le cout de production du MWh du barrage passerait de 42 € (environ) à 46 €. (Ce cout est à rapprocher de celui de l’éolien en mer : 180 à 200 € le MWh.)
Les solutions existent si on en a la volonté.
La problématique aujourd’hui, est d’obtenir la décision.
Mais, qui peut décider … et payer ?
La décision implique un engagement de financement sur 25 ans qui ne peut être pris que dans le cadre de la convention de concession entre l’ETAT et EDF.
Il n’appartient pas aux collectivités territoriales locales qui subissent les dégradations liées au barrage d’en supporter le coût. Cela reviendrait à demander aux victimes de payer les dommages subis.